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Le Photographe

L’oignon secret… le rutabaga énigmatique… le chou Romanesco sophistiqué… le bogue de châtaigne comme une étoile… l’écume romaine… le gingembre primitif…non ce n’est pas un inventaire à la Prévert, mais quelques-unes une des natures mortes que le photographe présente ici.
La nature morte est au cœur même du travail de Jean-François Chavanne et cette série exprime une de ses inspirations les plus intimes. Car bien que le photographe semble de manière générale s’inscrire dans une certaine tradition de la représentation des « choses naturelles » qui traverse les siècles, il en renouvelle le sens et la vision avec simplicité mais dans une esthétique proprement photographique et personnelle, une épuration visuelle toute contemporaine.
Dans le même temps, cette série de natures mortes photographiques marque une sorte de retour aux origines de sa vocation et de son amour de l’image.

Elle constitue en effet une sorte d’hommage au photographe Denis Brihat, avec qui Jean-François Chavanne travailla au milieu des années 70. Dans la perspective récurrente de magnifier les objets de la nature, tels qu’oignons ou coquelicots, sous forme de « tableaux photographiques », les photos de Denis Brihat étaient rendues à leur picturalité par un travail minutieux de virage métallique. Ici, c’est par la lumière naturelle et le biais de la désaturation des couleurs, qui donne ces teintes si subtiles, que Jean-François Chavanne opère son propre retour à la plasticité.

Si le photographe choisit volontairement des fruits et légumes ordinaires, c’est qu’il s’agit pour lui de remettre sous le regard ce dont le quotidien a effacé les formes. Pour pénétrer et révéler la beauté de la nature, nul besoin de voyage au bout du monde ni même d’exotisme :  le merveilleux et l’étrange, l’inconnu et le mystérieux, l’obscur et l’invisible se trouvent là, à portée de la main, à portée du regard, et Jean-François Chavanne sait à merveille saisir cette magie-là.

Là précisément où se découvre l’émotion la plus spontanée, une poésie impromptue surgissant sans qu’on n’ait rien demandé, d’un presque rien que la nature aurait là laissé, et nous délaissé.

Les volutes baroques des feuilles d’une clémentine, la sensualité d’un litchi, la douceur duveteuse d’un futur akène d’artichaut, une samare d’érable diaphane comme une aile de papillon, tout un monde se laisse approcher dans la sobriété et l’épure, presque minimales, dans l’élégance et l’atemporalité des couleurs juste adoucies et des transparences lumineuses qui révèlent l’extraordinaire finesse, la subtilités des textures, la complexité essentielle de la nature. Tout un monde que Jean-François Chavanne excelle à sublimer sans jamais dénaturer, ouvrant pour nous une secrète dimension.

Il offre ainsi à nos imaginaires des mondes microcosmiques, des univers fantasmagoriques, comme si une autre réalité, un autre monde, une autre vie pouvait se nicher dans ces paysages et qu’il nous appartenait, à bien les observer, de les découvrir.

Jean-François Chavanne serait-il un moraliste? S’il réussit le tour de force de dégager une belle émotion de la contemplation d’un légume, ce n’est pas pour rappeler memento mori, la vanité de ce monde, et ces végétaux ne sont pas davantage prétextes à quelques symboliques épuisées, que tentation de remettre le légume au goût d’une nature morte contemporaine passée par le prisme du ready-made et du pop-art. Mais fascination pour les formes essentielles de notre monde, les natures mortes de Jean-François Chavanne sont une douce invite à le regarder de plus près, une manière de dire « tout est là »…au fond, une ancienne sagesse.

Marie Deparis